Et si la diaspora Africaine rimait avec solidarité internationale et développement ?

À partir de leurs indépendances dans les années 1960, les pays africains qui entrent à « l’ère du développement » vont connaître à des degrés divers l’émigration de leurs ressortissants vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Or, dans l’analyse du processus de développement, la variable migration a un caractère paradoxal. En effet, elle peut être vue sous une optique de gain ou de perte pour la construction des pays d’origine. Pendant la décennie 1960-1970, l’émigration des ressortissants africains était surtout considérée comme nuisible au développement de l’Afrique. Mais plus tard, on a compris que les émigrants pouvaient aussi représenter potentiellement des diasporas susceptibles d’être mobilisées au profit de leur pays d’origine (Gaillard et Gaillard, 1998). Depuis lors, on tend de plus en plus à analyser les migrations sous une optique de gain, et des études mettent en lumière l’implication des diasporas africaines à titre de partenaires (formels ou informels) dans les projets de développement local dans leurs régions, villes et villages d’origine. Dans le contexte de la mondialisation, où les migrations transnationales et internationales sont considérées comme une mobilité géopolitique et géoéconomique, ces partenariats peuvent prendre une signification bien particulière pour l’Afrique, dans les rapports Nord-Sud, en matière de solidarité internationale et de développement. Ce texte propose une réflexion sur cette signification. Après avoir donné une définition du concept de diaspora, nous élaborons successivement sur la question des diasporas africaines et les divers programmes de développement dans lesquels elles interviennent (ou pourraient intervenir) selon différents types de partenariats nationaux ou internationaux.

De la notion de diaspora

Le mot diaspora, qui signifie « dispersion », vient du grec sporo qui veut dire « graine » ou de speira signifiant « semer ». La notion de diaspora désignait précisément la migration des savants grecs expatriés et diffusant à travers le monde la culture hellénique. En effet, dans le domaine des sciences, l’émigration des savants, ou « l’exode des cerveaux », est un fait historique bien connu dans l’Antiquité grecque. Il s’agit d’un phénomène que l’on peut d’ailleurs qualifier d’universel. Dans la tradition biblique, le terme a ensuite été utilisé pour désigner la « dispersion des Juifs » et enfin parler des peuples ne disposant plus de territoire national autonome, comme les Palestiniens ou les Kurdes. Mais depuis les années 1980, la géographie a recours à la notion de diaspora pour nommer les communautés nationales migrantes en interaction entre elles et avec le pays d’origine. Cette définition met ainsi l’accent sur la territorialité particulière de cette forme d’organisation sociale qu’est la diaspora. De manière générale, on met en évidence trois grands secteurs dans lesquels s’opère l’interaction diasporas-pays d’origine :

1) le secteur du développement local ;

2) le secteur des affaires ;

3) le secteur de la science et de la technologie (S&T). Dans cette perspective, la diaspora renvoie à la « multipolarité » de la migration et à l’« inter polarité » des relations.

Enfin, la diaspora se caractérise fondamentalement par l’existence réseau. De nos jours, la mondialisation de l’économie et celle des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication (NTIC) sont grandement propices à la formation et à la consolidation des réseaux ainsi qu’à l’émergence de nouvelles formes de diasporas.

Les diasporas africaines et le développement local

Les diasporas africaines jouent un rôle non moins important dans les efforts du développement local dans leurs pays. Leurs actions sont remarquables dans les activités d’économie sociale où les associations diasporiques prennent des initiatives seules ou en partenariat avec des mouvements associatifs du Nord. Par exemple, c’est le cas de l’engagement volontaire formel des émigrants dans les activités de développement économique, social et culturel de leurs localités ou régions d’origine. Il peut s’agir d’expédition de biens en nature, de transferts de fonds « institués » (des retenues sur salaire effectuées par les services sociaux de retraites, d’allocations familiales, etc.). Ces apports de la diaspora peuvent représenter une source appréciable de financement. On a constaté que, dans certains pays africains, les contributions des émigrés en France ont « dépassé l’aide publique au développement octroyée par le pays hôte ». Dans les années 1990, pour le Sénégal, les chiffres étaient de 132 millions dollars chez les immigrés et de 250 millions de dollars pour l’aide publique française. Les transferts des immigrés du Mali en France se chiffraient à 25 millions de dollars et l’aide publique française à 93 millions. Pour la Côte-d’Ivoire, la part de sa diaspora était de 21 millions de dollars alors que l’aide publique de la France s’élevait à 305 millions. Ces apports peuvent se comparer favorablement à certains postes de la balance commerciale de certains pays. Ainsi, pour le Sénégal par exemple, en 1994, les envois de ses ressortissants en France étaient au même niveau que les exportations des produits d’arachides. Dans de nombreuses localités de la plupart des pays africains, les envois des diasporas constituent la seule et souvent l’unique source de revenu des individus et des familles

Parfois, les Africains de la diaspora s’organisent de façon formelle dans des associations pour œuvrer, en partenariat avec les compatriotes demeurés au pays, à la réalisation des projets de développement en terre d’origine. De nouvelles formes de coopération ont vu le jour au courant des années 1990. Il s’agit notamment du partenariat entre les associations diasporiques, les mouvements associatifs ou les organisations non gouvernementales (ONG) du pays hôte. C’est notamment le cas des émigrés sahéliens en France. L’exemple le plus connu et souvent cité est celui des associations des diasporas de la vallée du fleuve Sénégal (Mauritanie, Sénégal et Mali). Selon l’Institut Panos, on en comptait environ 400 en France dans les années 1990. Ces associations de partenariat et de solidarité internationale ont joué et continuent de jouer un rôle important dans le développement local en Afrique. Leurs interventions ont permis de doter de pan entier de villages et de localités d’infrastructures de base, c’est-à-dire d’écoles, de dispensaires, de centres de santé, de silos de stockage de céréales, d’aménagement de périmètres irrigués, de constitution de banques céréalières, de réseaux d’eau potable et d’assainissement, etc. Les diasporas participent également à des activités d’économie sociale : développement de micro-financement, transports, coopératives dans divers secteurs, etc. Le sociologue Babacar Sall signale le cas des émigrés sénégalais résidant en Italie. « En janvier 1996, écrit-il, j’ai assisté au Sénégal à un événement significatif de ce phénomène. Il s’agit de l’électrification par les émigrés résidant en Italie de N’Diaye Tioro, village situé à 150 km de Dakar sur la nationale. Des exemples de ce genre abondent en pays toucouleur et soninké. En effet, des points sanitaires, des écoles ou des bureaux de poste sont installés partout grâce à l’épargne émigrée ou aux solidarités endogènes. »

Et si les africains de la diaspora étaient des acteurs de développement ?

La mise à contribution des diasporas dans le développement des pays d’origine est un phénomène fort complexe parce que polymorphique. Il est caractérisé par des asymétries entre le centre et les périphéries du système mondial. Il procède par des intermédiaires et des canaux de mobilité ou de circulation du capital humain, social et financier. L’apport diasporique met en relation au moins deux catégories d’acteurs sociaux : l’homo oeconomicus et l’homo donator. Enfin, comme tout phénomène, il peut engendrer des effets pervers négatifs et positifs. Mais au-delà de sa complexité, ce qu’on peut appeler « l’effet diasporique » demeure un facteur potentiel de développement du pays d’origine. Dans cette perspective, la mondialisation peut représenter un grand atout. Mais actuellement, en ce qui concerne l’Afrique, force est de constater que de manière générale les associations des Africains de la diaspora ne sont pas reconnues comme des acteurs du développement par les États africains, les bailleurs de fonds du Nord et les ONG. Le problème fondamental étant la non-reconnaissance de leur statut juridique, elles ne peuvent bénéficier de moyens pour s’impliquer dans la coopération pour le développement. Ainsi, il n’est pas rare que des projets de solidarité internationale lancés par des associations diasporiques africaines ne soient pas reconnus et que celles-ci se voient ainsi le plus souvent mener des actions informelles. Certes, le récent document du NEPAD propose d’élaborer des politiques et d’établir des mesures juridiques afin que les diasporas S&T africaines contribuent au renforcement des capacités techno-scientifiques et au développement de l’Afrique. Mais le NEPAD ne précise pas le plan d’action pour réaliser un tel projet. « Cependant, il semble clairement établi que la coopération au développement ne peut plus se passer de leur implication »

Source : Erudit – www.erudit.org

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *