Immersion et états des lieux des ICC (Industries créatives et culturelles)

Plusieurs des leçons que les investisseurs et les initiatives d’appui à l’entrepreneuriat ont tirées dans d’autres secteurs peuvent être transposées dans le secteur des ICC. Néanmoins, le secteur des ICC présente certaines particularités que les entrepreneurs, les investisseurs et les décideurs politiques doivent connaitre et prendre en compte.

Cette section met en lumière quatre de ces spécificités, en examinant les défis et les opportunités qu’elles représentent. Il convient toutefois de garder à l’esprit la diversité des sous-secteurs des ICC. Tous les sous-secteurs ne présentent pas chaque spécificité dans la même mesure. Le secteur de la mode et du design tend à être le plus proche des secteurs d’activité traditionnels.

Pour chaque spécificité, les secteurs non-ICC confrontés à des défis similaires sont mis en évidence. Les investisseurs et les structures d’appui à l’entrepreneuriat qui s’engagent régulièrement avec ces autres secteurs pourraient avoir des idées et des stratégies utiles sur la manière de relever le défi en question.

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

L’enjeu

L’une des principales caractéristiques du secteur des ICC est sa forte dépendance à l’égard de la propriété intellectuelle (PI), qui constitue la matière première du secteur. Les droits d’auteur et, dans les secteurs de la mode et du design, les marques et les modèles déposés, constituent souvent les principaux actifs des entreprises culturelles.

Le défi

Contrairement à la propriété physique qui ne peut être utilisée que par un nombre limité de personnes à un moment donné, la production intellectuelle peut potentiellement être utilisée par un nombre illimité de personnes. Une fois qu’une voiture est fabriquée, elle ne peut être vendue qu’à un seul client. Une fois qu’un film est réalisé, il peut être reproduit sur un DVD ou diffusé sur une plateforme de streaming un nombre infini de fois. La production des ICC est donc  particulièrement vulnérable au détournement et à la captation des avantages économiques par les hackers.

L’opportunité

Si les coûts initiaux peuvent être élevés, les produits protégés par le droit d’auteur ont généralement des coûts de production marginaux faibles ou nuls. Les possibilités de récupérer l’investissement créatif sont potentiellement illimitées et, si la protection du droit d’auteur est en place, très lucratives. En outre, le matériel protégé par le droit d’auteur peut faire l’objet d’une licence pour de multiples formats de produits : le personnage d’un livre pour enfants, par exemple, peut faire l’objet d’une licence pour une série de dessins animés.

LES MARCHÉS NUMÉRIQUES POUR LES PRODUITS ICC

L’enjeu

La numérisation a entraîné des transformations radicales dans les secteurs des ICC. La création est plus largement accessible que jamais, et les plateformes numériques sont devenues les acteurs majeurs de la distribution dans les secteurs de la musique et du cinéma. La numérisation a été moins disruptive dans des secteurs comme l’édition, les arts visuels et la mode, mais elle a néanmoins ouvert de nouvelles méthodes, comme en témoigne le défilé de mode virtuel en 3D de la Congolaise Anifa Mvuemba, qui a fait la une des journaux en 2020. Les changements peuvent être rapides et la capacité à appréhender les évolutions est cruciale.

Le défi

Dans un environnement numérique qui évolue rapidement, les acteurs lents qui ne comprennent pas les changements risquent fort d’être exclus des marchés. Il est donc nécessaire de se tenir constamment au courant des possibilités numériques dans les chaînes de valeur des ICC. Sans cela, un investisseur privé ou public ne peut pas prendre de décisions telles que : devons-nous investir dans davantage de cinémas physiques ou dans une plateforme de streaming locale ? Le secteur des plateformes numériques a également de fortes tendances à la concentration – 73% des revenus d’abonnement au streaming sur le marché du streaming en Europe, par exemple, revenaient à Netflix et Amazon Prime en 20181

. Si l’on veut assurer la pluralité des contenus créatifs, il est nécessaire de réaliser des investissements qui remettent en cause les quasi-monopoles des grandes plateformes mondiales.

L’opportunité

La distribution numérique offre la possibilité d’atteindre des marchés au-delà de ses frontières avec une facilité sans précédent. Les accords de licence avec les plateformes de streaming peuvent potentiellement placer un film africain dans les foyers de tous les continents. Un créateur de sacs à main de luxe au Niger peut potentiellement vendre ses sacs à l’élite de Lagos et d’Abidjan sans avoir à se déplacer constamment.

LA PRIMAUTÉ DE L’OFFRE SUR LA DEMANDE

L’enjeu

Presque chaque produit de l’ICC est une innovation pour laquelle la demande n’est pas encore exprimée. Henry Ford, pionnier de l’industrie automobile, a déclaré : «Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu un cheval plus rapide». Les entreprises culturelles peuvent réaliser des études de marché, mais la réaction à leurs produits reste très imprévisible, plus que dans d’autres secteurs. Le revers de la médaille est que les produits des ICC ont également la capacité de créer leur propre demande. Lorsqu’un créateur de mode lance une toute nouvelle coupe, cela peut potentiellement créer une demande pour un modèle qui n’existait pas auparavant.

Le défi

Le secteur des ICC peut être caractérisé comme une industrie produisant des prototypes. D’importants coûts de production sont engagés avant qu’un produit ne soit mis sur le marché. Le processus de création peut nécessiter un grand nombre d’»échecs», qui n’aboutissent même pas sur le marché. À Hollywood, par exemple, on estime qu’environ 50 000 scénarios sont enregistrés chaque année. Pourtant, les États-Unis ne sortent qu’environ 700 films par an, dont seulement 50 % environ sont rentables . Les entreprises culturelles doivent être en mesure de déployer un portefeuille de projets, afin que les succès puissent amortir les pertes financières liées aux échecs et au développement inabouti des produits.

L’opportunité

La primauté de l’offre sur la demande permet aux entreprises culturelles et aux autres acteurs culturels de façonner de manière proactive les goûts des consommateurs. Les goûts du public se développent en fonction de l’offre, et il est parfois nécessaire d’éduquer le public pour faire évoluer des goûts déjà bien ancrés. Une fois les nouveaux goûts établis, les marchés peuvent se développer de manière spectaculaire. La Chine constitue aujourd’hui l’un des plus grands marchés de l’art au monde, y compris pour les peintures. Pourtant, il y a plusieurs décennies, la Chine n’avait pas une culture de la peinture dans les arts visuels. L’activité des galeries et des musées privés a contribué à créer un goût pour les peintures qui aujourd’hui se vendent très bien, aux côtés des antiquités et des dessins chinois.

L’HYBRIDITÉ DES ICC

L’enjeu

Un entrepreneur du secteur des ICC n’est rarement guidé que par des motivations économiques. Les motivations artistiques peuvent jouer un rôle important dans la gestion de l’entreprise, tout comme les motivations sociales. L’hybridité des motivations est souvent une force qui alimente la résilience et la créativité, mais elle peut aussi entraîner des pièges du point de vue commercial.

Le défi

Un déséquilibre dans les motivations peut conduire les entrepreneurs des ICC à négliger l’aspect commercial de leur entreprise, en particulier les questions essentielles que sont le marketing, les prévisions financières et les questions juridiques, ce qui peut entraîner de mauvaises performances commerciales. Ce déséquilibre peut également se produire à un niveau macro. Pendant de nombreuses années, les secteurs culturels dans les pays africains se sont concentrés sur les fonctions de création et de production de la chaîne de valeur. Dans les industries cinématographiques francophones, jusqu’aux années 2000, les considérations artistiques primaient dans les décisions sur ce qui devait être produit. Ces pays ont acquis une réputation de haute qualité, mais ont eu une faible production et encore plus faible génération des recettes. Les acteurs publics, comme privés, ont négligé les questions de distribution.

L’opportunité

C’est l’hybridité des motivations qui permet aux entreprises culturelles d’avoir un impact sociétal aussi large. Une maison d’édition peut avoir l’ambition de renforcer l’estime de soi d’enfants qui n’ont pas l’habitude de se voir dans les médias. Une maison de mode peut faire revivre des techniques de teinture dévalorisées et offrir de nouvelles opportunités économiques à des teinturières marginalisées. Une société de production cinématographique peut avoir pour ambition de réaliser des films poétiques qui modifient le discours sur le changement climatique. S’assurer que ces ambitions sont soutenues par un cadre commercial solide permet de les rendre viables.

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