LA MODE IN AFRICA : Défis transversaux entravant la croissance du secteur de la mode en Afrique

Et si l’Afrique ne se contentait plus d’être uniquement le continent de la créativité et passait à l’action en devenant, non pas l’usine textile du monde, mais en proposant sa propre vision de la mode qui serait éthique puisque sourcée et fabriquée sur place, vendue partout à l’international. C’est le pari un peu fou qu’a décidé de relever la Belgo-Rwandaise Maryse Mbonyumutwa en lançant,  Asantii, la première marque de prêt-à-porter féminin, haut de gamme, panafricaine avec une dimension internationale et donc capable de faire jeu égal avec les géants tels que l’espagnol Zara, le japonais Uniqlo, le français Sandro ou encore le suédois H & M. C’est à la fois inédit et très ambitieux.

Thomas Sankara, le jeune leader burkinabé du panafricanisme, rêvait qu’un jour l’Afrique puisse habiller le reste du monde avec ses propres matières premières, notamment le tissu traditionnel à base de coton, le Faso dan Fani, le « pagne tissé de la patrie » ​en langue dioula. « Le Burkina Faso est venu vous exposer ici la cotonnade, produite au Burkina Faso, tissée au Burkina Faso, cousue au Burkina Faso pour habiller les Burkinabés. Ma délégation et moi-même, nous sommes habillés par nos tisserands, nos paysans. Il n’y a pas un seul fil qui vienne d’Europe ou d’Amérique », clamait-il dans un discours devenu célèbre, prononcé le 29 juillet 1987, à un sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), à Addis-Abeba. Toute l’Afrique, notamment de l’Ouest, s’est ainsi approprié ce tissu, source de fierté.

Un manque à combler

Si l’on reconnaît partout le professionnalisme et l’originalité des créateurs africains, il manquait à l’Afrique une marque globale produite sur place, distribuée partout et dont on retrouverait les vêtements dans les garde-robes. Malheureusement, les causes de ce retard sont connues : manque d’infrastructures, absence de financement, relais quasi inexistant dans le monde, incapacité de produire à grande échelle, problèmes de ressources humaines, difficultés à répondre aux exigences des standards internationaux dans les temps impartis, matières premières intraçables, la liste des difficultés est longue.

En dépit de l’énorme potentiel du secteur de la mode sur le continent africain et des progrès remarquables réalisés ces dernières années, toutefois de nombreux défis transversaux freinent la capacité du secteur de tirer parti de ses avantages comparatifs existants.

La grande majorité des parties prenantes ont cité le manque d’investissements publics et privés plus généralement le développement du secteur de la mode en Afrique comme le défi le plus important auquel le secteur est actuellement confronté, suivi par le manque de possibilités d’éducation formelle et le coût et la disponibilité des textiles locaux. Ces préoccupations sont les symptômes de failles systémiques plus larges ou de barrières structurelles qui entravent le secteur de la mode en Afrique, auxquelles il convient de s’attaquer pour permettre au secteur d’atteindre son plein potentiel

  1. Une mosaïque de politiques et mesures à travers le continent

Malgré l’intérêt croissant des gouvernements africains, des institutions financières et des organisations non gouvernementales pour le secteur de la mode, comme illustré dans le chapitre précédent, l’ensemble des politiques et mesures actuellement mises en œuvre sur le continent comportent encore des lacunes importantes. Au niveau national, il est courant que les différents maillons de la chaîne de valeur du secteur soient sous la responsabilité de différents ministères qui ne travaillent généralement pas ensemble. En effet, la croissance de certains segments du secteur de la mode, en particulier le textile et l’habillement, nécessite une industrialisation, ce qui implique la création d’usines, la mécanisation, l’emploi de masse sur un seul site de production et la promotion du commerce transfrontalier.

  • La propriété intellectuelle dans les chaînes de valeur des secteurs du textile et de la mode

De nombreux stylistes africains ont du mal à protéger leurs créations en tant que biens créatifs, comme le sont les œuvres musicales ou littéraires. Le problème est double : tout d’abord, de nombreux organismes nationaux de propriété intellectuelle sont confrontés à des défis liés à des capacités de mise en œuvre limitées. Par ailleurs, les jeunes créateurs de mode qui manquent de formation formelle ou de soutien administratif font souvent face à d’immenses difficultés d’ordre logistique et financières pour faire enregistrer un dessin, un nom, un brevet ou une marque. Il en résulte que de nombreux créateurs voient leur travail réutilisé, copié ou contrefait sans aucune compensation financière ou reconnaissance.

La dépendance croissante du secteur de la mode à l’égard des technologies numériques et l’apparition d’outils tels que l’intelligence artificielle générative posent de nouveaux défis en matière de droits de propriété intellectuelle. Les dessins et modèles peuvent être partagés et diffusés très rapidement, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux, et les créateurs peuvent facilement perdre le contrôle de leur bien immatériel le plus précieux : leur vision créative.

  • Des possibilités de formation et d’éducation insuffisantes

L’un des principaux obstacles à la croissance du secteur de la mode africaine est l’insuffisance des opportunités de formation et d’éducation actuellement disponibles sur le continent. La formation aux métiers de la mode en Afrique est diversifiée, allant de possibilités d’apprentissage informel aux programmes d’enseignement formels dans les domaines du stylisme, de la production textile, du marketing et de l’entrepreneuriat. Certains pays, en particulier ceux qui possèdent des hubs et des industries de la mode dynamiques, disposent d’écoles et d’instituts bien établis qui dispensent un enseignement et une formation de grande qualité.

Ces établissements jouent un rôle essentiel dans la formation des talents et la promotion de la créativité dans la région. Selon une étude réalisée en 2021 par le Conseil pour l’enseignement international de la mode africaine (Council for International African Fashion Education – CIAFE), il existe en Afrique plus de 500 centres de formation à la mode, publics et privés, les plus nombreux se trouvant en Afrique de l’Ouest, suivi de l’Afrique australe. Bien que certains de ces établissements indiquent sur leurs sites Internet qu’ils délivrent une attestation de participation après la formation, il est impossible de vérifier s’il s’agit d’attestations certifiées. D’autres écoles proposent des cours de licence et de master, avec les diplômes correspondants

  • Le manque d’investissements structurés et d’infrastructures

Selon les parties prenantes de l’industrie interrogées dans le cadre de la présente étude, le manque d’investissements publics et privés et le problème connexe de l’insuffisance des infrastructures figurent parmi les principaux défis qui freinent le développement du secteur de la mode. L’industrie de la mode nécessite des capitaux importants, et des investissements initiaux doivent être réalisés pour favoriser le développement des produits, le marketing et la création des marques, l’expansion des capacités de production et l’accès aux nouveaux marchés. En l’absence de canaux d’investissement structurés, les entrepreneurs et les entreprises de mode ont du mal à obtenir le financement nécessaire pour réaliser leurs ambitions, ce qui les empêche de développer leurs activités et d’atteindre leur plein potentiel. Le manque de possibilités de financement entrave également l’innovation. En effet, les faibles investissements pour la recherche et le développement ne permettent pas aux créateurs d’expérimenter de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques durables. Mais surtout, cela empêche les marques d’augmenter leur production et de devenir plus compétitives sur la scène mondiale. Ce problème affecte de manière disproportionnée les femmes entrepreneures du secteur de la mode, qui sont plus susceptibles de s’exclure d’elles-mêmes du marché du crédit existant, en raison de perception de leur faible solvabilité. En 2017, la Banque mondiale a indiqué que seulement 37 % des femmes possédaient un compte bancaire en Afrique subsaharienne, contre 48 % des hommes, et que l’écart entre les genres en matière d’accès au financement était de 18 % en Afrique du Nord, le plus important au monde

  • Défis spécifiques du marché et préoccupations environnementales

À l’échelle mondiale, la mode est désormais entrée dans le top 10 des industries les plus polluantes au monde, avec les secteurs de l’énergie et des transports. Chaque maillon de la chaîne de valeur de la mode a une empreinte carbone élevée et un impact négatif sur l’environnement, y compris en Afrique. La prédominance de la « fast fashion » (mode rapide ou éphémère), en particulier, a alimenté des modèles de consommation non durables basés sur la pratique « acheter, utiliser, jeter » qui génère des quantités massives de déchets qui sont ensuite exportés vers certains pays du Sud. De fait, l’Afrique est considérée comme faisant partie du système mondial de gestion des déchets vestimentaires13. Si de nombreux défis sont communs à l’ensemble de l’industrie de la mode à travers le monde, comme la perte de biodiversité, les émissions de carbone et les eaux usées, certains problèmes sont propres au continent africain, comme la gestion de grandes quantités de vêtements de seconde main importés, un problème particulièrement pernicieux qui a des effets néfastes à la fois sur l’environnement et sur le secteur local du textile et de l’habillement en Afrique.

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