Les clés d’une industrialisation compétitive

Mr ROBERT NGOKI est Manager chevronné, qui cumule à son actif de nombreuses expériences dans des organisations de la sous-région. Président de la Chambre de Commerce, de l’Industrie, des Mines et de l’Artisanat de la RCA, il est revenu sur les questions liées à l’investissement dans la sous-région et sur les grands enjeux du libre-échange, Dans cet interview réalisé par le magazine Valeurs Ajoutées le mag des entreprises.

Entretien réalisé par PHOEBE DAMAONE

V.A: Vous avez à votre actif plusieurs responsabilités dans des organisations sous-régionales, comment réussissez-vous à gérer autant de contraintes managériales?

R. NGOKI : C’est une question d’aménagement de son programme. Ce n’est non plus tous les jours qu’on tient des réunions dans les organisations que je préside. Cela ne pose donc aucun problème.

V.A : Le libre-échange est à l’air du temps dans les débats sur le plan régional, mais en zone CEMAC ce n’est pas encore une réalité totalement effective. Selon vous, quels sont les leviers pouvant donner un coup d’accélérateur à ce processus?

R. NGOKI : Je suis toujours surpris de voir qu’il y a certains pays de la CEMAC qui posent encore des questions pour la libre circulation de personnes et de biens. Alors que ce sont des documents dont les chefs d’Etats ont paraphés. Le déplacement des ressortissants de la zone CEMAC ne devrait plus être un problème.

VA : Quel est votre sentiment au sujet du libre-échange ?

R. NGOKI: Ecoutez, je n’ai pas eu le temps de beaucoup lire les conditions et les revendications de chaque sous-région. Commençons d’abord par faire une bonne communication sur la circulation des ressortissants de la CEMAC économiquement et le déplacement des personnes avant de voir les autres zones de l’Afrique.

VA : Plusieurs pays de l’Afrique sont producteurs de pétrole. Quel sentiment avez-vous sur la position des pays de la sous-région après la chute du prix du baril de pétrole ?

R. NGOKI: Comme vous le savez en tant que journaliste, cela nous pose des problèmes aujourd’hui dans la sous-région. Le pétrole est pratiquement le produit phare d’exportation de la zone CEMAC. Depuis que le prix du pétrole a baissé, nous avons des conséquences qui font que la zone CEMAC a des problèmes sur les devises entre autres. A part mon pays (RCA) qui n’a pas encore commencé la production du pétrole, tous les pays de la CEMAC produisent du pétrole. Il ne suffit pas seulement de produire du pétrole, mais aussi de pouvoir aménager les installations industrielles pour soutenir cette production le jour où les prix devraient baisser.

VA : En 2014, la production et l’exportation étaient assez intéressantes, mais curieusement, les transferts sont de plus en plus limités. Comment comprendre cette situation ?

R. NGOKI: J’ai constaté qu’en Afrique centrale, nous importons pratiquement la totalité des produits. Je vais faire une comparaison avec l’Afrique de l’Ouest où beaucoup d’unités permettent à cette zone d’économiser les devises. Quand on n’exporte pas et on importe, cela pose des problèmes sur les devises, car les prix chutent. Voyez-vous, ma position en tant que président de chambre consulaire de la CEMAC, il faudrait qu’on revienne aux fondamentaux de la création de l’UDEAC qui est maintenant la CEMAC, qui disent que, si vous créez une industrie dans un pays de la CEMAC, tous les autres pays doivent contribuer au renforcement de cette industrie. Mais, ce qu’on constate. sur le terrain est contraire aux textes. Tenez par exemple : si le Cameroun crée une entreprise où une industrie, vous verrez le Congo, le Gabon, la Centrafrique et autres vouloir faire de même. Cependant, démographiquement en Afrique centrale, nous ne sommes pas nombreux. Cette attitude fragilise les sociétés. Et la plupart du temps, ces entreprises ferment leurs portes.

VA : Quelle attitude devraient adopter les entreprises de la sous-région pour que nous cessions d’être des pays de consommation ?

R. NGOKI: Vous me posez là une question qui m’enmmène à vous dire qu’il y a quelques années, la Banque mondiale et le FMI ont demandé à ce que les Etats suppriment les taxes uniques. Le système de taxes uniques permet aux Etats d’Afrique centrale de mieux se lancer dans la création des industries. Ils avaient créé quelques industries avec des taxes moindres, ce qui donnait du travail et du savoir-faire. Puisqu’il faudrait qu’on démarre finalement. Evidemment que nous sommes des pays consommateurs. L’Afrique est considérée comme un continent consommateur. Cette suppression de taxe unique pose réellement des problèmes aux ressortissants de l’Afrique centrale. Il faudrait qu’on y réfléchisse.

VA : Le Franc CFA peut-il être la monnaie de la situation, pour le développement des pays de la région ?

R. NGOKI: Je ne suis de ceux qui disent qu’il faut dévaluer le Franc CFA. Prenons des explications terre-à-terre sans entrer dans des théories complexes. On dévalue une monnaie, quand on effectue beaucoup d’importation, ce qui est concurrentielle sur le marché, notre monnaie est alors chère. Dites-moi, après le pétrole, la banane, le maïs et le bois que nous avons, quels sont les produits qu’on exporte aujourd’hui ? Or, en dévaluant, on va plus souffrir avec une hausse des prix sur le marché, dans la mesure où on importe plus.

VA : Avez-vous des propositions à donner à l’Afrique pour avoir une véritable communication économique avec l’Occident ?

R. NGOKI: Il faut commercialiser entre-nous. Il y a des choses qu’on peut payer au Cameroun ici, mais on ne le veut pas. On prefère aller en Europe. En retour, tout cela nous revient chers. Et il y a des choses qu’on peut acheter en Centrafrique, au Tchad, au Gabon, ou au Congo, vous comprenez …. Donc, commençons d’abord par commercialiser entre nous avant de nous adresser à l’Europe. Je crois qu’il y a au moins une vingtaine d’années, j’étais dans une réunion à Harare. Lors de cette réunion, il y a un consultant anglais le nommée James Makilo, qui nous a dit, “Chers Africains, quand vous commencerez à commercialiser entre vous africains, ce n’est pas vous qui irez en Europe, c’est nous les Européens qui viendrons en Afrique”. Donc, commençons d’abord dans la sous-région, mettons effectivement en place la commercialisation, la libre circulation des biens et des personnes dans la zone CEMAC.

VA : Parlez-nous un peu de votre structure GACOA-SIV

R. NGOKI: C’était une industrie! Au début, nous montions des véhicules Citroën, Peugeot, etc quand nous étions justement dans le système de la taxe unique. Les coûts de production revenaient moins chers et nous pouvions vendre dans la sous-région. Mais avec cette décision de la Banque mondiale supprimant la taxe unique, les véhicules que nous montions ici n’étaient plus concurrentiels aux véhicules importés, résultat des faits, nous étions obligé de fermer l’usine. Pour le moment, nous importons des Peugeot et sommes en train d’amorcer des négociations avec d’autres concessionnaires pour pouvoir réouvrir l’usine.

VA : En ce qui concerne les APE et la crise des devises, quel est votre avis sur ces questions d’actualité ?

R. NGOKI: Il y avait une réunion des présidents des chambres de commerce au Mali où j’étais naturellement présent. Et le gouvernement français lors de cette réunion a commis des petits documents pour demander aux africains d’attendre, et de ne pas opter pour une entrée précipitée dans les APE sous réserve que nos économies et nos entreprises ne sont pas encore suffisamment prêtes. Ça se présentait comme une mise en garde. Parce que, vous savez, tant que nous africains, ne sommes pas encore suffisamment préparés, il suffit seulement d’une erreur liée à la mauvaise qualité de l’emballage de nos produits pour que ceux-ci subissent un rejet du marché européen. Il faut en effet bien vérifier quels sont les produits que nous souhaitons commercialiser en Europe, et quels sont les produits que les européens souhaitent commercialiser chez nous.

Dans la mesure où, ces pays occidentaux sont déjà industrialisés, il y a des centaines d’années. Une signature active des APE, impliquerait une inondation des produits européens et par effet de causalité, la fermeture de certaines entreprises locales inadaptées qui subiront une concurrence forte des industries européennes qui proposeront des produits de qualité à moindre coût.

A mon avis, les présidents des chambres de commerce, doivent alerter leur gouvernement respectif pour que nous fassions attention aux APE. Quand on envisage de conquérir le commerce international, il faut être bien armé pour pouvoir tenir avec la concurrence de ces pays occidentaux. Si on ne le fait pas, sachant que nos petites industries sont faibles, on va fermer les portes, parce que nous ne tiendrons pas à la concurrence. Il faudrait que nous revenions et que nous repensions à l’industrialisation de l’Afrique.

Quand j’étudiais au Japon dans les années 70 pendant quatre ans, le Yen avait une même parité que le Franc CFA. Nous avions pratiquement les mêmes variétés. Au début, il se disait que ce qui se fabriquait au Japon était des pacotilles, et aujourd’hui le Japon est dans une dimension de production de très haute qualité. C’est parce qu’ils se sont mis à niveau, pour arriver à une étape de perfection. Mais pourquoi, il est interdit aux africains de commencer. Il faudrait que nous réfléchissions. Dangoté, le premier milliardaire dit que lorsque les chinois arrivent en Afrique, ils consomment chinois. Les indiens font pareille; les européens consomment européen mais pourquoi nous les Africains, nous ne consommons pas africains ?

Vous comprenez donc que ce sont des réflexions que vous jeunes cadres et nous, devrions mettre sur les tables de discussions. Il se dit qu’en Afrique Centrale, il y a une rareté de devises et que cette situation cause une longue attente. J’ai lu dans un journal qu’il faut mettre des semaines, parfois des mois pour avoir des devises. Non, moi, je crois que c’est une fausse information. Bien sûr, il y a rareté de devises quand le pétrole a baissé de prix. ça fait qu’à un moment donné, il fallait dévaluer le franc CFA de l’Afrique centrale. Les Chefs d’Etats se sont réunis à Ndjamena, et ont opté pour la non dévaluation. La Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) a été instruite de chercher des moyens pour que les devises soient contrôlées. La BEAC a pris des décisions aujourd’hui qui imposent aux banques primaires de passer par la banque centrale avant toute importation des devises.

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